Le bombardement du Yémen vu par mon ami (fin)

Article : Le bombardement du Yémen vu par mon ami (fin)
Crédit: © vetogate.com
1 mai 2015

Le bombardement du Yémen vu par mon ami (fin)

Est imbécile celui qui croit qu’il y a une guerre productive. Car toutes les guerres, y compris celle menée par l’Arabie saoudite contre le Yémen, ne débouchent que sur des massacres, des guerres civiles et des misères. Ainsi, la situation humanitaire dégradante au Yémen a imposé à Mohammed et ses amis de retrousser leurs manches afin de réduire les souffrances de leurs compatriotes.

« Ça fait un mois qu’on vit sans électricité »

Plusieurs Yéménites sombrent depuis un mois dans l’obscurité. Notre ami a signalé également la pénurie de gaz, le seul moyen utilisé actuellement pour générer de l’électricité. Et comme disait le proverbe, la nécessite est la mère de l’invention. Au Yémen, les motos fonctionnent avec le gaz de butane. Il convient de rappeler que les gens stockent des quantités importantes de cette matière, le gaz, qui a pris du jour au lendemain la place du pétrole.

Les Yéménites ne souffrent pas seulement de la coupure de l’électricité, mais aussi de la rareté des produits alimentaires de première nécessité dans les marchés. D’où la question que nous avons posée à notre interlocuteur : Est-ce que vous n’avez pas reçu de soutien de la part des Saoudiens ? Mohammed nous a répondu que les Houthis, les rebelles, avaient refusé les aides de l’Arabie saoudite et les Yéménites « peuvent s’entraider les uns les autres » dans ces moments difficiles. D’après Mohammed, la guerre a enseigné à son peuple qu’il ne faut jamais compter sur les autres (surtout les Saoudiens et leurs alliés) pour reconstruire leur pays.

Le gaz remplace le pétrole au Yémen Crédit photo : althawranews.net

 « Je crois qu’il y a une volonté internationale de frapper le Yémen »

Pour Mohammed, le vote du Conseil de sécurité de l’ONU pour l’opération contre le Yémen prouve la complicité de la communauté internationale. Et même la Russie, l’allié des Houthis, n’a pas utilisé son veto et elle s’est contentée de s’abstenir de voter. Selon notre correspondant, le jeu de la communauté internationale est clair : mettre sous tutelle le Yémen et impliquer l’Arabie saoudite et les pays du Golfe dans une guerre sans fin.

Concernant l’arrêt des raids aériens annoncé par les la coalition, notre ami nous a confirmé que le bombardement n’a pas encore pris fin. Il a ajouté que l’objectif de la coalition arabe est toujours le même : paralyser les mouvements des milices Houthis. Mohammed n’exclut pas aussi une opération terrestre. En effet, les signes d’une telle opération sont nombreux, selon le site Almashhad-alyemeni. Sachant que les bombardements ont échoué jusqu’à présent à affaiblir les Houthis.

 « Moi, j’ai choisi de servir les gens dans ces moments difficiles »

Sans surprise, Mohammed m’informe qu’il a abandonné (provisoirement) l’équipe de rédaction du site d’informations Ayn Al Yemen (Œil du Yémen). La raison : sauver les gens des griffes de la famine passe avant les informations et le casse-tête de la politique. La nouvelle tâche de Mohammed ne consiste plus à rassembler les photos, mais à collecter les aides alimentaires et par la suite les distribuer aux familles les plus touchées par la guerre. Ces jeunes volontaires veulent cultiver la valeur de la solidarité dans leur gouvernorat, Dhamar. Mohammed pense que s’il y a de la solidarité, il n’y aura pas de place aux crises et à la famine : « Rien qu’avec un kilo de blé, on peut soulager la souffrance des pauvres. »

« Qu’est-ce qu’on a gagné de cette guerre ? Rien, que du chagrin ! »

Il n’avait pas imaginé un jour de vivre entre le bruit des bombardements et le fantôme de l’obscurité. Hier même, où je discutais avec lui, il m’a informé qu’il vient d’être touché aux yeux à cause de la noirceur. Selon lui, les dégâts matériels et psychologiques de cette intervention militaire sont incalculables, voire indescriptibles.

Quel malheur d’être gouverné par des politiciens imbéciles ! Quel drôle de pays où les gens sont engagés dans une course contre la montre pour stocker le blé et le gaz, au lieu de penser à une solution à la guerre ! Les marchands profitent du conflit pour augmenter leur fortune sur le dos des « anéantis » par les bombardements intenses. L’armée constituée par le président sortant Ali Abdallah Saleh, qui avait combattu les Houthis durant 6 ans, combat aujourd’hui dans les rangs des anciens ennemis.

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La dégradation de la situation humanitaire au Yémen ©adenalghad

« Il est rare de trouver une maison où il n’y a pas d’armes au Yémen »

Mohammed critique violemment la naïveté de son peuple qui accorde une place importante aux armes. Ainsi, on ne peut pas imaginer un mariage sans des tirs à balles réelles dans l’air. Si l’utilisation des armes dans les fêtes pouvait paraître pour un touriste comme un acte incompréhensible, ceci n’est pas le cas pour les siens de notre ami. Pour eux, les armes sont une condition sine qua non pour savourer la vie et un symbole de masculinité.

Dans certaines régions du Yémen, les gens tirent au canon antiaérien lors des mariages. Ainsi, on peut comprendre pourquoi la coalition arabe a échoué à réduire les capacités des rebelles yéménites. Ce sont des personnes qui entretiennent un rapport d’amour avec les armes et pour qui « le bruit des explosions » est une source de plaisir.

 « J’ai envie d’apprendre de nouvelles compétences »

Il s’est demandé s’il peut avoir une bourse d’études au Maroc, parce que les études dans son pays sont loin de répondre à ses attentes. Mohammed croit qu’un pays comme le Maroc, qui a osé prendre parti dans un conflit aussi épineux comme celui du Yémen, muni de ses F-16, devrait forcement avoir des écoles, des instituts et des universités de qualité. C’est pourquoi il rêve de continuer ses études au Maroc. Or, l’enseignement public au Yémen n’a rien à envier à celui du royaume. La plupart de nos universités sont devenues des usines à chômeurs et leur situation est « catastrophique » (pour reprendre l’expression de Lahcen Daoudi, ministre de l’Enseignement supérieur marocain).

En attendant de rencontrer un jour mon ami ici même au Maroc ou chez lui au Yémen, le calvaire de Mohamed et ses compatriotes s’aggrave bombardement après bombardement. Et je viens de savoir aujourd’hui qu’il n’y a pas d’eau dans certaines régions du Yémen. Le monde est vraiment injuste, non ?

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Commentaires

morvan
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je me sens reliée au yémen où j'ai voyagé trois semaines en 1999; depuis, rimbaud le lien est très fort; je suis très inquiéte pour le destin du yémen. Il faut en parler beaucoup. LES GENS NE CONNAISSSENT PAS LA BEAUTE DE CE PAYS;